«Sensibiliser l’humain à la biodiversité avec les métaphores adéquates»
Carte blanche pour Hugo Caviola (Université de Berne) et Claudia Keller (Université de Zurich)
17.1.2024 – Pour préserver la biodiversité, nous devons aussi réfléchir à notre manière d’en parler. Les sciences linguistiques et littéraires peuvent contribuer à une communication sociale vertueuse.
L’article exprime l’opinion personnelle de l’auteur·e et n’est pas nécessairement conforme à la position de la SCNAT.
Le langage n’est jamais neutre; il façonne notre perception et notre pensée. Les mots nous permettent d’appréhender le monde sous différentes perspectives. Cela vaut également pour les métaphores et les narratifs de la biodiversité. Ce terme complexe appelle une exemplification. Prenons capital, arbre, donnée, réseau, société, miracle, moteur ou encore bibliothèque de la vie: ces métaphores peuvent établir des passerelles entre la science et l’être humain et résonner en lui sur le plan cérébral et affectif. Elles renvoient une image forte et sans équivoque, d’où la nécessité de les utiliser à bon escient et de s’interroger sur les valeurs qu’elles véhiculent.
Les valeurs du capital sont interchangeables, pas les espèces
Une étude menée dans le cadre du projet Sprachkompass de l’Université de Berne montre que la communication sur la biodiversité s’appuie systématiquement sur des métaphores tirées du quotidien. Il n’est pas rare que la biodiversité soit décrite comme capital naturel pouvant subir des pertes, des altérations ou encore des déficits. Il faut bien investir ce capital naturel, l’augmenter et le préserver pour générer une plus-value écologique. La métaphore du capital confère une grande valeur à la biodiversité, en plus d’être un bon argument politique: qui voudrait perdre du capital naturel!
Chaque métaphore comporte aussi des zones d’ombre. La métaphore du capital ignore la valeur intrinsèque de chaque espèce. En effet, les valeurs du capital sont interchangeables, mais pas les espèces. L’extinction des abeilles sauvages n’est pas compensée par la promotion de l’abeille à miel occidentale. La métaphore de la biodiversité sous la forme d’un arbre de vie avec ses innombrables ramifications représentant les espèces fait appel aux sens et à l’émotion. L’arbre est quelque chose de beau, qui illustre notre connexion à la nature. Et les branches mortes suscitent notre inquiétude. Toutefois, il ne représente pas précisément – d’un point de vue scientifique – toute l’étendue des espèces d’insectes et de mammifères.
Rhétorique militaire et xénophobe
Les métaphores et les narratifs sont en outre toujours influencés par l’esprit d’une époque. Ainsi, la métaphore des espèces invasives dans l’ouvrage de Charles Elton «The Ecology of Invasions by Animals and Plants» (1958) est marquée par la guerre froide, avec la peur de la bombe atomique et d’une invasion militaire. La métaphore de l’invasion occulte le fait que les espèces ne s’introduisent pas d’elles-mêmes dans de nouveaux territoires dans l’intention de nuire, mais qu’elles sont transportées par les êtres humains. La métaphore fonctionne selon le principe de l’externalisation: elle désigne les espèces invasives comme responsables des énormes coûts et des dommages écologiques alors que celles-ci sont, en réalité, la conséquence de l’histoire de la colonisation occidentale et de la mondialisation.
En outre, la métaphore de l’invasion implique un narratif teinté de xénophobie: dans cette bataille entre le bien et le mal, il faut de nouveau exterminer les «effrayants conquérants». Nul doute que la propagation de certaines espèces pose un sérieux problème! Mais nous ne le résoudrons pas en transposant un discours xénophobe à l’écologie. D’où notre question: d’autres désignations telles que «espèces déplacées», «espèces potentiellement nuisibles» ou tout simplement «espèces introduites envahissantes» n’offriraient-elles pas une perspective plus adéquate? En finir avec cette rhétorique du bouc émissaire permettrait de sensibiliser les gens afin qu’ils perçoivent davantage leur propre responsabilité et s’attaquent à la racine de ce problème créé par l’espèce humaine.
Nouveaux narratifs de la littérature
La littérature offre souvent de nouveaux narratifs et points de vue. Dans le roman de Marie Gamillscheg «Aufruhr der Meerestiere» (2022), par exemple, le cténophore pélagique invasif est un symbole de l’effondrement des écosystèmes causé par l’humain et un modèle à suivre de par sa capacité à s’adapter à des conditions de vie qui se dégradent en misant sur l’intelligence collective de l’espèce et non en se battant chacun pour soi.
Nous devrions utiliser toute l’étendue de métaphores et de narratifs issus des différents domaines culturels, chaque terme étant associé à certains points de vue et certaines solutions. Et la diversité de la vie nécessite tout un éventail de perspectives pour réussir à communiquer sur la biodiversité et à trouver des solutions pour la préserver.
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Hugo Caviola est chercheur associé au Centre for Development and Environment (CDE) de l’Université de Berne et dirige le projet de recherche Sprachkompass. Claudia Keller est maître-assistante au Deutsches Seminar de l’Université de Zurich et membre du programme de recherche universitaire prioritaire «Changements globaux et biodiversité». Elle travaille sur un projet de recherche sur les narratifs de la biodiversité.
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